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Mes jours de prison

Awat Mohamad-Amin

Traduction de kurde : Bayan Salman et Philippe Delarbre

Image: prison-Tracy Lundgren

En octobre 1989, je fis la connaissance de Hassan Mutlak Al-Roudhan. Il habitait Kirkuk et logeait à la cité universitaire située en face de notre maison dans le quartier de Iskan Al-Jadid, et était enseignant. J’avais souhaité cet entretien. J’admirais ce qu’il écrivait, particulièrement ses nouvelles, et nous correspondions depuis un an. Cette relation ne fit dès lors que se renforcer et me permit de rencontrer également le conteur Mahmoud Jandari Juma et l’intellectuel Nasser Mahmoud, tous deux originaires de Kirkuk. Nos réunions se multiplièrent, se tenant soit chez l’un d’entre nous soit dans des clubs. Nous traitions de sujets littéraires et nos discussions étaient d’ordre culturel. A la mi-novembre, Hassan Mutlak m’appela et me dit qu’il préférait que nous nous réunissions chez Nasser Mahmoud lequel vivait dans un appartement situé dans le quartier de Al-Moussallah. Nous nous y rendîmes vers 16h et, une demi-heure plus tard, Mahmoud Jandari vint se joindre à nous. Mais cette fois, à l’inverse de nos réunions habituelles, Hassan parla de politique. Il fit une analyse de la situation du pays, évoquant les conséquences de la guerre Iran-Irak, les traces qu’elle avait laissées dans le pays, ses effets dans le quotidien des Irakiens, le renforcement de la dictature et du pouvoir absolu qu’exerçait Saddam Hussein. Chacun d’entre nous appelait à la liberté de pensée, à la mise en place d’une constitution moderne, à l’instauration d’une démocratie, d’un état de droit digne du peuple irakien lequel mérite une vie en rapport avec ses capacités, son énergie et l’immense richesse du pays. Mais il ne fut jamais dans nos intentions de nous écarter de la littérature et du domaine culturel et de nous consacrer à la politique. Hassan conclut en nous apprenant qu’il était en train de se constituer, dans la région de Tikrit et dans la tribu Jabour dont il était issu, une organisation politique. Il appartenait à la branche civile mais c’était la branche militaire comprenant de jeunes officiers de tous grades, en poste dans des lieux et des unités aussi sensibles que forces spéciales et garde républicaine, qui tenaient les rênes.

Nos réactions aux révélations de Hassan et à son appel à rejoindre cette organisation furent inégales. Si Nasser lui apporta immédiatement son soutien, Mahmoud Jandari fut plus réservé. Il promit de lui répondre par écrit. Quant à moi, après m’être engagé sur l’honneur à garder le secret et à ne leur nuire en aucune manière, je refusai. Toutefois j’ajoutais que, soucieux de préserver notre amitié, j’étais prêt, par solidarité et m’estimant moralement responsable, à leur apporter, en cas de nécessité, l’aide dont ils pourraient avoir besoin.

Il faisait nuit quand je rentrai chez moi. La peur et l’angoisse m’avaient envahi. Pour me rassurer, je me dis qu’en cas de découverte du complot et d’arrestation de ses auteurs, je pourrais toujours déclarer que je n’avais jamais été de leur côté et que je n’avais jamais travaillé avec eux. J’étais dans l’ignorance complète des dispositions du Code pénal irakien en matière de complot visant au renversement du régime et d’atteintes à la sécurité de l’État. Je décidai de rester éloigné pendant un temps de mes amis et de ne pas m’approcher du lieu de notre rendez-vous.

Je travaillais depuis plus d’un mois en tant que contrôleur sur le projet du Sad Al-Adime (Grand Barrage) et ignorais que Hassan Mutlak et Nasser Mahmoud avaient été arrêtés la première semaine de la nouvelle année 1990. Le 19 janvier 1990, dans l’après-midi, alors que je discutais dans ma chambre de traduction littéraire avec un ami écrivain de ma génération, Nauzad Ahmed Aswad, ma sœur Mahabad entra soudainement dans ma chambre en m’annonçant que trois hommes, dans une voiture blanche, me cherchaient et qu’ils parlaient arabe. Je  sortis pour aller à leur rencontre. J’étais vêtu d’un tee-shirt et d’un pantalon de pyjama et ne pensais à rien de particulier. Deux des hommes se tenaient debout à côté de la voiture tandis que le chauffeur, assis, attendait. L’un des hommes s’avança et me tendit la main.

Au moment où je serrai sa main, il m’ordonna de monter dans la voiture. Il me déclara que je devais me rendre dans les bureaux de la sécurité car mon frère Rebwar avait été arrêté à la suite d’une bagarre. Alors que je tentais d’obtenir plus d’explications, il me poussa, aidé de l’autre homme, dans la voiture. Je me retrouvai assis à l’arrière entre les deux tandis que la voiture prenait la direction du centre-ville. Peu après le démarrage, l’un des deux hommes me recouvrit la tête d’une veste de cuir et, en m’enfonçant dans le flanc le canon de son pistolet, me força à me baisser. La voiture s’arrêta dans un garage situé dans la cour d’un bâtiment gouvernemental que je n’avais jamais vu auparavant. Je fus ensuite conduit dans une petite pièce avec une porte en fer et une lucarne creusée en haut d’un mur. J’observai les inscriptions qui maculaient les murs et je compris que je me trouvai dans les locaux du renseignement.

Moins d’une heure plus tard, on m’emmena dans une autre pièce. On me plaça face à un homme habillé en civil assis derrière un bureau encombré de papiers et d’un fouet noir. On me laissa seul, les mains attachées dans le dos, avec cet homme. Celui-ci se leva, se pencha vers moi et me demanda si je savais la raison pour laquelle on m’avait amené ici. Je répondis que non.
J’essayai à ce moment de contrôler mon corps qui tremblait de peur et de froid. Il m’interrogea sur les causes de ce tremblement. Je dis qu’il faisait froid. Il répliqua sur un ton moqueur qu’il allait m’envoyer dans un endroit chaud et tranquille. C’est alors qu’il me gifla violemment tout en proférant des insultes. Puis il appela les deux hommes et leur demanda de me reconduire dans la première pièce.

Au coucher du soleil, la porte s’ouvrit. On fit entrer un homme vêtu d’un manteau noir et la porte se referma. Après nous être dévisagés en silence, je reconnus le conteur Mahmoud Jandari. Il m’informa hâtivement de l’arrestation, deux semaines plus tôt, de Hassan Mutlak et de Nasser Mahmoud ainsi que de dizaines d’officiers et de civils notamment dans la zone de Tikrit et des villages de Sedhirat pour le motif, ainsi que l’avaient annoncé la propagande et certains médias opposants, de préparation d’un coup d’État. Mahmoud Jandari me questionna sur ma position. Je lui répondis que ma position était identique à celle que j’avais exprimée lors de notre dernière réunion et que je n’en n’avais pas dévié. De son côté, il m’expliqua qu’il avait informé par écrit Hassan Mutlak de son refus de rejoindre l’organisation secrète et qu’il avait détaillé les raisons de ce refus.

Finalement, nous décidâmes de réfuter toute accusation d’avoir rejoint ou soutenu ladite organisation en décrivant notre situation telle qu’elle était. Personne ne vint chercher Mahmoud Jandari pour être interrogé et nous restâmes deux nuits dans le même endroit. Le matin du troisième jour. On nous menotta, on nous banda les yeux et on nous fit monter dans une voiture accompagnés de deux hommes et d’un chauffeur. Trois heures plus tard, la voiture s’arrêta. On retira le bandeau de nos yeux mais nos mains restèrent menottées. C’était un grand bâtiment comprenant plusieurs étages. On nous fit monter à l’un des étages pour recevoir la tenue réservée aux prisonniers et déposer nos vêtements et objets personnels. Je n’avais sur moi qu’une pièce d’un dinar et une montre électrique ordinaire. Puis on nous sépara et je fus conduit dans une petite cellule de couleur rouge sombre portant le numéro 35 située dans ces mêmes bâtiments des services de renseignement installés, ainsi que je l’appris plus tard, dans l’arrondissement de Al-Hakimiya à Bagdad.

Au bout de plusieurs jours, je fus emmené les yeux bandés pour être interrogé. Après avoir fait retirer le bandeau, l’enquêteur m’ordonna de m’asseoir sur une chaise à deux mètres de lui. Un autre homme était assis à côté de la table et transcrivait mes déclarations.

Avant que l’enquêteur ne me questionne sur mes relations avec Hassan Mutlak et son groupe, sur ce qu’ils projetaient de faire et la raison pour laquelle je n’étais au courant de rien, il annonça que Hassan Mutlak et Nasser Mahmoud avaient tout avoué concernant la nature de mes relations avec eux et le rôle que j’avais joué. J’expliquai alors, ainsi que Mahmoud Jandari et moi en étions convenus, quelle avait été ma relation avec Hassan Mutlak et son groupe.
Quant au motif pour lequel je n’avais pas fait d’écrit, je soulignais que je ne croyais pas à cette affaire, que je ne l’avais pas prise au sérieux et que j’avais dit : « Comment parler de quelque chose que je considère comme une élucubration ? ». Puis je signai ma déclaration. Au moment de quitter la pièce, je vis Mahmoud Jandari entrer les yeux bandés. Je passai plus d’un mois en cellule d’isolement. Un jour la porte s’ouvrit et deux hommes furent poussés dans la pièce : Abd Mohamed Jarou, directeur du Département d’archéologie de Salah-al-Din et Mohammed Saleh Khalaf, officier adjoint de la garde spéciale, tous deux incarcérés pour la même affaire. J’appris alors la vérité et les secrets sur cette entreprise dont j’ignorais tout. Il y avait une organisation armée avec des branches civiles composées de sunnites, particulièrement une fraction de la tribu Jubour de la ville de Salah-al-Din dirigée par une personne appelée Cheikh Hegel Mohammed Shabib al-Jubouri. Cette organisation avait pour objectif d’assassiner Saddam Hussein lors d’un défilé militaire à l’occasion de la fête de l’Armée, le 6 janvier 1990. Il avait été prévu que tire le canon d’un char participant au défilé et conduit par un jeune officier de la garde républicaine, Sattam Ghannam al-Jubouri,  surnommé le Doigt d’or pendant la guerre Iran-Irak. Mais le complot fut dénoncé, une semaine avant son exécution, par une personne qui, proche de mon ami Hassan Mutlak, avait refusé d’y participer, après avoir été approchée et informée. C’est du moins ce que me racontèrent plusieurs détenus.

Quelques jours plus tard, après l’arrivée de Hassan Rashid Ahmed al-Badrani, officier de la garde républicaine et de Ahmed Gharbi Hassan, agent de santé dans l’un des villages de Sedhirat, nous fûmes cinq détenus dans la même cellule. Nous pûmes constater que nous avions été en majorité arrêtés pour la même affaire. Nous vîmes passer le Ramadan, la Fête (l’Aïd). Hassan Rashid fut libéré car il n’avait aucun lien avec le complot. Avant qu’il ne parte, je lui demandai d’avertir ma famille de ma situation et de mon lieu de détention. Ahmed Gharbi fut transféré dans un autre endroit. Le 18 juin 1990, nous fûmes traduits devant le Tribunal Révolutionnaire à l’époque présidé par Awad Bander. Jamais je n’aurais imaginé un procès aussi superficiel. Vingt-sept détenus, à l’exception de Cheikh Hegel séparé du groupe, se trouvaient debout dans la même cage et tous inculpés pour le motif de complot contre l’État.
Aucun d’entre nous ne reconnut l’accusation portée à son encontre et je fus témoin de la position courageuse de plusieurs accusés qui invoquèrent la légitime défense voire même leur opposition au pouvoir, position qui poussa le président à les insulter ainsi que leurs familles et la tribu Jubouri. La position de l’avocat de la défense avait été dictée et fut ridicule. Le procureur général réclama des peines maximales. Le procès dura deux heures et s’acheva avec la condamnation de tous en vertu de l’article 175 /2 du code pénal prévoyant la peine de mort ou l’emprisonnement à vie. Dix-sept d’entre nous furent condamnés à mort, les dix autres à la prison à vie. Je fis partie des condamnés à la prison à vie.

Condamnés à la prison à vie :

  1. Awat Mohamad-Amin (civil)
  2. Abd Mohamed Jarou (civil)
  3.  Mahmoud Jandari Juma (civil)
  4.  Mohammed Saleh Khalaf (sous-officier / garde spéciale)
  5.  Ali Abdullah Ahmed (sous-officier / garde spéciale)
  6. Hameidi Mohammed Saeed (sous-officier / garde spéciale)
  7. Ibrahim Hussein Jassim (agent des forces spéciales de sécurité)
  8. Mahmoud Al-Mazho (capitaine forces blindées / Garde républicaine)
  9. Jamal Mahmoud Al-Badrani (sous-lieutenant / Garde républicaine)
  10.  Ghanem Abdul Talab (lieutenant chef / Garde républicaine)

Condamnés à mort :

1 – Cheikh Hegel Mohammed Shabib al-Jubouri (civil)

2- Hassan Mutlak Al-Roudhan (civil)

3- Nasser Mahmoud (civil)

4- Ahmed Gharbi Hassan (civil)

5- Fendi Talab Salma (civil)

6- Sattam Ghannam Al-Majzab (capitaine / Garde républicaine)

7- Jamal Shaalan Ahmad (capitaine / Garde républicaine)

8- Khudair Kkedr Al-Jubouri (capitaine / Garde républicaine)

9- Ibrahim Ahmed Abdala (capitaine / Garde républicaine)

10- Mahmoud Abdullah al-Mahjoub (capitaine / Garde républicaine)

11- Mustafa Hadi al-Sawati (capitaine / Garde républicaine)

12- Mudahi Ali al-Hussein (capitaine / Garde républicaine)

13- Saleh Jassim (capitaine / Garde républicaine)

14- Sabah Abdullah (capitaine / Garde républicaine)

15- Khairallah Hamid (lieutenant chef / Garde républicaine)

16- Qais Askar Mohammed (sous-officier / garde spéciale)

17- Hassan Nayef Abdullah (sous-officier / garde spéciale / peloton spécial)  

Après le jugement, nous fûmes immédiatement transportés en véhicules blindés à la prison centrale de Abou Ghraib. Nous restâmes deux jours dans la partie réservée à l’accueil des détenus jusqu’à ce que l’on nous entasse par quatre ou cinq dans une petite pièce.
Le deuxième jour, nous mangeâmes les restes d’un banquet d’officiers et d’employés de la prison. Après le déjeuner, nous fûmes regroupés dans une grande salle et il fut demandé aux condamnés à mort de dicter leur testament à l’un des condamnés à vie de leur choix afin que ce dernier le transmette à leurs proches.

Là-bas, je revis Hassan Mutlak, Nasser Mahmoud et Mahmoud Jandari au bout de cinq mois d’isolement. Hassan Mutlak m’embrassa et exprima son regret de ce qui m’était arrivé et qui avait causé tant de difficultés et de douleurs à ma famille. Nasser Mahmoud parla des tortures qu’ils avaient subies et me présenta ses excuses, disant qu’il n’aurait jamais pu imaginer qu’une peine aussi dure puisse être infligée à quelqu’un qui, dès l’origine, avait refusé l’idée même du complot.

Dans l’après-midi, on nous transféra à la division des peines spéciales. On nous répartit dans la salle d’accueil puis on nous sépara. Comme les autres, je fus libre de choisir le groupe nommé al-seferdachia avec lequel je devais partager l’espace et la nourriture. En général, ceux qui étaient condamnés pour le même motif choisissaient de former un même groupe. Chacun appelait l’autre : Ibn Dawa. Mahmoud Jandari et moi sommes restés ensemble et avons rejoint trois autres prisonniers de façon à constituer un al-seferdachia de cinq personnes. Les trois autres étaient :

  1. Berdj Donabit Kiroxian (arménien, membre de l’Orchestre symphonique d’Irak)
  2. Tariq Medhat Al-Qarghouli (doyen, Direction des transports et des approvisionnements)
  3. Abdul-Wahab Ahmed Askar (kurde, ouvrier plombier)

Abou Ghraib était une prison qui dépendait du Ministère des affaires sociales et le personnel était rattaché à ce ministère. L’ironie du destin fut que mon père travaillait depuis vingt ans dans cette prison. Le jour où j’y fus amené, il se trouvait en congé dans notre famille à Kirkuk. Quand il apprit la nouvelle, il revint sur le champ reprendre son poste.
Lorsque nous nous revîmes, il me posa peu de questions sur ce qui était arrivé mais il me demanda de prendre patience et de remercier Dieu qui m’avait sauvé de la pendaison. Il ajouta que le temps passerait, que l’on ne savait pas ce que l’avenir nous réservait.

J’étais parti pour la prison d’Abou Ghraib le 20 juin 1990. J’avais peur de parler du motif pour lequel on m’avait incarcéré : Tentative de coup d’État manqué. Mais dès le premier jour, nous eûmes des informations sur les jugements, le code pénal, les crimes et accusations de complot. Là-bas, j’obtins un exemplaire du code pénal irakien numéro 111(réformé en 1969) en vertu duquel j’avais été condamné et dont le contenu et les commentaires étaient très flous. Un mois et demi plus tard, le matin du 2 août 1990, au moment de nous lever, nous entendîmes la nouvelle qui devait secouer le monde entier : L’occupation du Koweït par les forces irakiennes. L’opération était placée sous le slogan « Retour de la branche à son origine » (عودة الفرع الى الاصل).

Le peuple irakien fut convaincu qu’une nouvelle guerre était proche. Nous suivîmes la succession des résolutions du Conseil de sécurité contre l’Irak, la mise en place des forces d’une coalition internationale, le déroulement de la guerre après son déclenchement le 17 janvier 1991, le soulèvement du Kurdistan jusqu’à la libération de Kirkuk le 21 mars. L’espoir en nous d’une survie se mêla à la crainte plus que justifiée de représailles. Puis le désespoir, le chagrin nous submergèrent lorsque nous apprîmes le rétablissement de l’ordre par le pouvoir et la migration d’un million de Kurdes début avril.

Mon père m’avait apporté une petite radio de poche et j’écoutais en cachette les chaînes internationales. J’ignorais que trois de mes frères avaient été pris dans les vagues d’arrestations ordonnées par le criminel Ali Hassan al-Majeed et que le reste de ma famille avait dû fuir à pied vers la frontière iranienne. Bien des années plus tard, alors que je regardais un film sur la migration de 1991, je vis soudain ma mère ainsi que plusieurs membres de ma famille qui, mêlés à la foule, allait vers un destin inconnu. Cette image réveilla ma douleur et les souvenirs amers de ces années de cruauté.

Au milieu de toutes ces tragédies, suivre les informations était obligatoire pour tous les prisonniers. Un soir alors que nous étions assis devant la télévision, nous avons appris, à notre grande surprise, qu’une délégation des chefs des partis kurdes s’était rendue à Bagdad et avait été reçue par Saddam Hussein afin de négocier. Dans le même temps, des centaines de milliers de Kurdes étaient déplacés vers les frontières de l’Iran et de la Turquie. Les journées devinrent de plus en plus pénibles dans la prison. Nous vivions dans un climat d’agitation continuelle. D’un côté nous observions l’effondrement du régime, de l’autre nous nous attendions à des mesures de représailles.

De plus, l’embargo international sur l’Irak avait de très graves répercussions sur le quotidien et le moral des prisonniers. Je vis, de mes propres yeux, trois détenus poursuivre un chat, l’attraper et le cuire pour leur dîner. Des personnels chargés de récolter les dons du sang prenaient de force le sang des prisonniers. Souffrant, comme beaucoup d’entre nous, d’anémie et d’une grande faiblesse, j’avais une véritable peur de leur venue. En mai, l’administration de la prison changea. Les tâches des gardiens furent confiées aux forces de sécurité et non plus à la police.
A cette époque, mon père partit à la retraite et je perdis un homme dont l’aide précieuse et affectueuse m’était d’un grand réconfort.

La décision d’amnistie no 241 fut rendue le 21 juillet 1991 mais ne fut effective que cinq mois plus tard, le 21 décembre 1991. La libération se fit groupe après  groupe. Ne furent pas libérés les prisonniers et détenus classés dans les catégories non concernées par l’amnistie. Deux jours plus tôt, la Direction des réformes sociales de la prison me notifia l’obligation de me présenter à la Direction de la sécurité de Kirkuk dans les dix jours suivant ma libération.

J’arrivai à Kirkuk le 25 décembre 1991 à 21h. Ce retour fut, pour moi comme pour ma famille, une véritable renaissance. Je n’avais plus que trois jours à passer auprès des miens avant de me rendre à la Direction de la sécurité. Emportant dans un sac des vêtements de rechange, une serviette et des affaires de toilette, je partis pour Chamchamal, dans la Région du Kurdistan, où depuis le départ de ma famille de Kirkuk, vivait ma sœur mariée. La Région du Kurdistan était désormais sous le contrôle du Front du Kurdistan et le gouvernement irakien, depuis trois mois, avait dû en retirer administration et services de sécurité.

Chamchamal fut pour moi un lieu de repos et de paix où je pus retrouver nombre de parents et d’amis. A cette date, les négociations entre dirigeants kurdes et gouvernement central battaient leur plein et les chances d’obtenir des résultats positifs étaient minces. J’étais sorti de prison, j’avais dû quitter ma ville, Kirkuk, ma famille et aller vivre à quelques kilomètres. Je ne revins que douze ans plus tard après la chute de la dictature bassiste le 9 avril 2003.Tout avait changé. Beaucoup de mes amis font maintenant partie d’un lourd passé dont, même en rêve, je ne veux plus me souvenir. Mais ma lutte avec la vie continue.





Awat Mohamad-Amin
écrivain

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